Vers le lancement d’une filière française de l’hydrogène? Par Perrine Tisserand, avocate

Perrine Tisserand a travaillé 4 ans à Bruxelles comme consultante dans le domaine des politiques européennes de l’énergie et a contribué en particulier à l’élaboration de stratégies européennes, nationale (ADEME) et régionales (Nord Pas de Calais et Pyrénées) pour l’hydrogène et les piles à combustibles. Elle est désormais avocate au Barreau de Paris où elle a rejoint le Cabinet GERANDO AVOCATS. Elle nous propose ici son analyse sur le développement très attendu de la filière française de l’hydrogène, en identifiant les premiers verrous réglementaires.

Vers le lancement d’une filière française de l’hydrogène?

Par Perrine Tisserand, avocate au Barreau de Paris

Alors que les médias se font l’écho des annonces de TOYOTA prévoyant la commercialisation d’une voiture à hydrogène pour 2015 aux Etats-Unis, peu d’informations sont relayées sur le déploiement de ces technologies en France.

Pourtant d’importantes opportunités existent sur le territoire national. Mieux, de nombreux « champions » de l’hydrogène sont des entreprises françaises, contraintes faute de marché local de rechercher des débouchés commerciaux hors du territoire français.

C’est ce paradoxe que souligne avec intérêt un récent rapport parlementaire, riche d’enseignement pour qui souhaite suivre et encourager le développement d’une filière hydrogène en France .

C’est ce paradoxe qu’entend corriger le Ministre du Redressement Productif Arnaud Montebourg, qui vient de promettre le lancement d’un plan industriel destiné à faire de la France « un champion européen de la filière hydrogène » .

L’occasion pour nous de revenir sur ce sujet.

L’hydrogène, vecteur énergétique

Le dihydrogène (H2), appelé communément hydrogène est une molécule chimique présente en abondance dans l’environnement, dans l’eau par exemple (H2O). L’hydrogène n’existe pourtant pas à l’état naturel et doit ainsi nécessairement être produit à partir d’une source d’énergie primaire, renouvelable ou non.

L’hydrogène présente un fort pouvoir énergétique. Surtout l’hydrogène apparait comme un outil pour la transition énergétique, ce qui fait dire à certains courants que l’hydrogène est l’un des piliers d’une troisième révolution industrielle.

C’est en ce sens que l’on parle de l’ «hydrogène-énergie» ou de « l’hydrogène, vecteur énergétique ».

L’hydrogène est un vecteur de la transition énergétique de par :

* la multiplicité de ses applications énergétiques: stationnaire (cogénération par exemple), mobilité (avec la voiture fonctionnant à l’hydrogène et piles à combustible) ou encore stockage de l’énergie pour ne citer que certains des usages possibles ;

* son interconnexion avec les énergies renouvelables permettant de lutter contre l’intermittence de ces énergies et de favoriser une production décentralisée d’énergie ;

* certains de ses modes de production offrant l’opportunité de réduire les gaz à effet de serre et de réduire la dépendance aux énergies fossiles.

De nombreuses applications de l’hydrogène-énergie sont réalisées en complémentarité avec la technologie de la pile à combustible (l’hydrogène alimente une pile à combustible, qui à son tour produit de l’électricité, et ce tant que la pile est alimentée en combustible). Cependant, l’hydrogène et la pile à combustible peuvent être utilisés indépendamment l’un de l’autre. Ainsi, l’hydrogène peut être utilisé directement, sans servir à alimenter une pile à combustible (on pense par exemple au stockage d’énergie). De même, une pile à combustible peut fonctionner avec d’autre type de combustible, tel que le méthanol.

Un paradoxe français 

Le rapport parlementaire souligne à raison le fort potentiel industriel et scientifique français en matière d’hydrogène énergie.

En effet plusieurs grands groupes français figurent parmi les leaders de l’industrie de l’hydrogène : Air Liquide, Total, GDF Suez et AREVA pour ne citer qu’eux sont très présents sur les marchés internationaux de l’hydrogène.

Les pays à la pointe en matière d’hydrogène et de piles à combustible sont en Europe, l’Allemagne et la Scandinavie ; en Amérique du Nord, les Etats-Unis (Californie en tête) et le Canada ; enfin en Asie, le Japon et la Corée du Sud.

Aux côtés de ses grands groupes français figurent également des petites et moyennes entreprises très innovantes et dont l’activité va grandissante.

Citons par exemple McPhy, SymbioFCell ou Paxitech.

En outre, un tissu important de laboratoires et d’organismes de Recherche et Développement (R&D) s’est constitué en France (CEA, IFPEN), complété par un réseau de pôles de compétitivité ou d’initiatives locales (Tenerrdis, Phyrénées, etc).

Pourtant, et c’est là tout le paradoxe français, la présence de ces « champions » de l’hydrogène ne permet pas à la filière française d’exister pleinement pour l’instant.

Certes, des projets de R&D ainsi que des projets de démonstration sont actuellement en cours en France, notamment dans le cadre du Programme d’Investissement d’Avenir et des Appels à Manifestation d’Intérêts (AMI) qui ont suivi.

Citons à titre d’exemple, le projet MYRTE en Corse pour le stockage des énergies renouvelable ou encore le projet de flotte captive de véhicules utilitaires réalisé en partenariat avec la Poste en Franche-Comté.

Mais ces projets, si ambitieux soient-ils, ne permettent pas – encore – de rattraper l’état de développement des marchés dans les pays en pointe.

Lever les verrous réglementaires

Si des verrous technico-économiques peuvent expliquer ce retard français, ils ne sont pas tout. D’autant que les stratégies suivies par l’Allemagne ou les pays scandinaves ont permis de créer des conditions de marchés favorables en Europe pour saisir des opportunités commerciales réalisables à court et moyen termes.

En France, ce retard trouve donc son origine avant tout dans des choix politiques et stratégiques. Les limites actuelles au déploiement de la filière hydrogène sont principalement d’ordre réglementaire et s’expliquent par le manque, jusqu’ici, d’un soutien politique fort à la filière.

Ces verrous règlementaires sont présents sur l’ensemble de la chaîne de valeur de l’hydrogène : production, transport, stockage et utilisation de l’hydrogène.

Les règlementations actuelles applicables aux technologies de l’hydrogène sont inadaptées à l’usage de l’hydrogène en tant que vecteur d’énergie:

A titre d’exemple, l’hydrogène est soumis aux dispositions du Code de l’environnement relatives aux Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE). Or ce cadre s’attache à la production de l’hydrogène dans l’industrie chimique, soit de l’hydrogène produit en très grande quantité et utilisé à des fins industrielles et non énergétiques.

De sorte que ces dispositions règlementaires représentent plus une contrainte qu’un levier, n’étant pas adaptées aux besoins de « l’hydrogène-énergie ».

Le rapport parlementaire rappelle à ce titre qu’un délai de 12 à 18 mois en moyenne s’écoule afin d’obtenir l’agrément pour implanter une unité de production d’hydrogène par électrolyse de l’eau (une des méthodes de production de l’hydrogène-énergie) alourdissant nécessairement le projet et sa faisabilité économique.

En outre, le cadre règlementaire actuel manque d’harmonisation, tant à l’échelle des territoires (local, national et surtout européen) qu’en fonction de la nature des applications envisagées : une disposition relative à une application mobile de l’hydrogène (par exemple voiture à hydrogène, chariot élévateur) ne saurait efficacement servir à un usage de l’hydrogène dans des applications stationnaires (cogénération à des fins résidentielles par exemple).

Enfin de nombreuses applications de l’hydrogène et/ou des piles à combustible ne rentrent dans aucunes des réglementations existantes. Cette absence de cadre réglementaire conduit les porteurs de projets, en partenariat avec les autorités publiques à expérimenter afin d’identifier les outils adéquats et créer le contexte pertinents. En attendant, cela représente autant de verrous qui entravent le développement des technologies de l’hydrogène et des piles à combustible sur le territoire français.

En conséquence, lever les obstacles règlementaires est l’une des pistes énoncées par le rapport parlementaire. A notre sens, c’est la priorité principale que la France doit se fixer, si elle entend faire jeu égal avec les pays leaders en la matière.

L’adaptation de la réglementation est donc un objectif clé afin de favoriser la mise en oeuvre d’une filière française de l’hydrogène et garantir un cadre juridique encourageant les investissements et la réalisation de projets.

En outre, la mise en place de leviers politiques national et local permettant de créer les conditions d’un marché favorable au développement d’une économie de l’hydrogène en France nous parait particulièrement souhaitable. Que ces outils soient d’ordre financier ou non avec par exemple des mesures de soutien à la R&D; un mécanisme de certification de l’hydrogène produit selon des sources d’énergies renouvelables, des politiques de soutien de l’offre avec une politique fiscale ou de commande publique, etc.

Enfin, la structuration de la filière autour d’une stratégie nationale est importante.

A ce titre, tant le rapport parlementaire que les annonces du Ministre Arnaud Montebourg semblent négliger l’existence d’une feuille de route nationale pour l’hydrogène et les piles à combustible, publiée par l’ADEME en mai 2011 et résultant d’un travail collaboratif réalisé avec les industriels, chercheurs et pouvoirs publics.

Reste que les propositions de gouvernance formulées dans le rapport parlementaire nous paraissent particulièrement intéressantes (le « triptyque organisationnel » proposé dans les recommandations du rapport).

En conclusion

Gageons que la prise en main du dossier par le Ministre Arnaud Montebourg, à la suite de la publication du rapport parlementaire du 19 décembre 2013 sera suivie d’effets rapides pour lever les obstacles règlementaires au déploiement de la filière hydrogène en France.

Dans ce contexte, nous espérons que les acteurs de la filière hydrogène et les pouvoirs publics sauront éviter la dispersion des efforts, en s’appuyant sur des initiatives déjà en place afin de mettre en commun l’ensemble des forces en présence (l’existence de la feuille de route nationale ADEME, ainsi que les travaux et activités menés par l’association AFHYPAC ou encore la plateforme Horizon Hydrogène Energie coordonnée par Air Liquide sont des atouts dans ce contexte). Enfin, espérons que le développement de la filière française s’inscrira également dans une dimension européenne.

Perrine TISSERAND

Cabinet GERANDO AVOCATS

Pour plus d’information, prendre contact avec GERANDO AVOCATS – 7 rue de Madrid – 75008 Paris

Mots clés : hydrogène – pile à combustible – réglementation – obstacles-filière – feuille de route – France- Arnaud Montebourg – Rapport parlementaire

Télécharger ci-dessous l’article de Perrine Tisserand (avec + de notes de bas de page et + de liens)

2014 02 06 – Article Hydrogène pour le cabinet – VF


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