La crise sanitaire qui perdure doit inciter les entreprises à redoubler de vigilance dans l’exécution de leurs marchés publics, car les répercussions financières sont telles pour les cocontractants, tant pour les entreprises que pour les acheteurs publics, que ces derniers n’auront que très peu d’égards envers les entreprises au moment du décompte final.
Quelques dispositions ont bien été prises par le Gouvernement afin de permettre aux acheteurs publics et aux entreprises de faire face à certaines difficultés d’exécution pendant la période juridiquement protégée de l’état d’urgence sanitaire.
Ces dispositions sont celles de l’Ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 (dans sa dernière version au 24 avril 2020) « portant diverses mesures d’adaptation des règles de procédure et d’exécution des contrats publics pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de Covid-19 ».
Elles sont finalement bien souvent au bénéfice de l’acheteur public.
1.Pas de présomption de force majeure comme annoncée et imprudemment relayée
Il n’y a donc aucune présomption de force majeure liée à cette crise sanitaire, contrairement à ce qui a pu être annoncé puis relayé.
Au contraire, pour éviter d’être sanctionnée de pénalités contractuelles ou d’une résiliation pour faute, comme pour éviter de voir engager sa responsabilité, l’article 6, 2° rappelle que l’entreprise doit démontrer une « impossibilité d’exécution » (soit la condition classique du caractère « irrésistible » de l’évènement) totale ou partielle du fait de l’épidémie ou des mesures prises par les autorités administratives pour y faire face, compte tenu des moyens insuffisants de l’entreprise ou du coût manifestement excessif de leur mobilisation.
Finalement, rien de plus favorable que les CCAG applicables (Travaux, FCS, PI, MI, TIC…).
En toute hypothèse, l’entreprise n’a pas forcément intérêt à opposer la force majeure (cf. infra).
2.Possibilité d’exécution par un tiers en cas de défaillance de l’entreprise
L’article 6, 2° b dispose qu’en cas de défaillance de l’entreprise et si les prestations ne peuvent souffrir d’aucun retard, l’acheteur public peut, sans engager sa responsabilité, faire procéder à la substitution de l’entreprise.
Même si la substitution ne peut être effectuée aux frais et risques de l’entreprise défaillante, c’est ajouter une possibilité de résiliation du marché sans faute de l’entreprise qui est pourtant seulement contrainte par la situation sanitaire et de surcroît, sans qu’elle puisse en être indemnisée.
Finalement, cette disposition est favorable à l’acheteur public dès lors que la résiliation pour motif d’intérêt général qui aurait dû être ici prononcée est, elle, indemnisable.
3.Pas d’obligation de prendre une décision d’ajournement pour l’acheteur public
L’article 6, 1° prévoit que si l’entreprise ne peut pas respecter le délai d’exécution contractuellement prévu ou lorsque l’exécution dans ce délai entrainerait pour elle un surcoût manifestement excessif, l’entreprise peut demander à l’acheteur public de prolonger ce délai. Le texte précise que cette prolongation est au moins égale à la durée de la période d’état d’urgence sanitaire augmentée de deux mois, mais elle peut être moins longue bien sûr si les cocontractants le décident.
Ici encore, très clairement, l’acheteur public est protégé par des dispositions qui privilégient la prolongation du délai pour laquelle l’Ordonnance ne prévoit pas d’indemnisation. L’entreprise aurait bien sûr préféré que l’acheteur public prononce une décision d’ajournement des prestations qui est, elle, en principe indemnisable.
Rien finalement donc de très favorable pour l’entreprise qui se retrouve à devoir quémander une prolongation du délai d’exécution comme si la décision de prolongation de délai qu’elle obtiendra de l’acheteur public permettra de lui éviter un surcoût excessif. Les acheteurs publics « travaillent » déjà actuellement en ce sens pour prolonger les délais d’exécution des marchés au motif prétendu que les entreprises éviteront ainsi des surcoûts excessifs…, alors que ce n’est bien évidemment pas le cas puisqu’elles sont confrontées aujourd’hui comme elles le seront demain à d’importants surcoûts qui ne se résorberont pas par la seule prolongation des délais.
Les CCAG applicables qui prévoient déjà la prolongation du délai en cas de « difficultés imprévues » devront être préférés à ces dispositions.
4.Pas d’indemnisation prévue par l’Ordonnance, en dehors de la résiliation du marché due à des mesures prises par les autorités administratives compétentes dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire
L’Ordonnance ne prévoit pas l’indemnisation de l’entreprise, sauf en cas d’annulation d’un bon de commande ou de résiliation du marché par l’acheteur public liée à des mesures prises par les autorités administratives compétentes dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.
Toutefois ici encore, les dispositions prises bénéficient à l’acheteur public puisque cette indemnisation se réduit aux seules dépenses engagées lorsqu’elles sont directement imputables à l’exécution du bon de commande annulé ou du marché résilié.
C’est finalement moins bien indemnisé qu’une résiliation pour motif d’intérêt général qui donne droit au titre des CCAG applicables à une indemnité de résiliation, obtenue en appliquant au montant initial hors taxes du marché, diminué du montant hors taxes non révisé des prestations reçues, un pourcentage fixé par les documents particuliers du marché ou, à défaut, de 5 % et à laquelle s’ajoute, la part des frais et investissements, éventuellement engagés pour le marché et strictement nécessaires à son exécution, qui n’aurait pas été prise en compte dans le montant des prestations payées.
L’Ordonnance apparaissant à ce titre tellement profitable à l’acheteur public que la DAJ a dû même rectifier sa fiche technique dans sa mise à jour du 6 avril 2020 en indiquant que « si le contrat ne s’y oppose pas, cette disposition de l’ordonnance ne fait pas obstacle à une indemnisation complémentaire du titulaire au titre de son manque à gagner du fait de l’inexécution des prestations en application de la jurisprudence administrative en cas de résiliation pour motif d’intérêt général. Toutefois, si les circonstances qui ont conduit à la résiliation ou à l’annulation des prestations constituent un cas de force majeure, seules les dépenses réelles et utiles pour l’exécution des prestations pourront faire l’objet d’une indemnisation ».
L’entreprise comprendra, comme précisé plus haut, qu’elle n’a donc pas forcément intérêt à opposer la force majeure qui n’est pas indemnisable sauf des seules dépenses engagées pour l’exécution des prestations…
Un peu plus loin, la lecture de l’article 6, 4° aurait pu laisser espérer une volonté d’indemnisation favorable à l’entreprise dans les marchés à prix forfaitaire : « lorsque l’acheteur est conduit à suspendre un marché à prix forfaitaire dont l’exécution est en cours, il procède sans délai au règlement du marché selon les modalités et pour les montants prévus par le contrat. A l’issue de la suspension, un avenant détermine les modifications du contrat éventuellement nécessaires, sa reprise à l’identique ou sa résiliation ainsi que les sommes dues au titulaire ou, le cas échéant, les sommes dues par ce dernier à l’acheteur ».
Mais une décision de suspension n’est pas une décision d’ajournement des prestations en principe indemnisable. La décision de suspension n’est d’ailleurs pas prévue dans les CCAG.
Il semble plutôt qu’une telle décision de suspension vise le cas de l’impossibilité provisoire de l’entreprise à intervenir, soit le cas de la force majeure n’interrompant pas les prestations mais les suspendant seulement provisoirement.
De sorte qu’ici, dans le cas de la suspension d’un marché à prix forfaitaire, l’Ordonnance impose la poursuite de l’exécution financière du contrat par l’acheteur selon les modalités prévues au contrat et à l’issue de la suspension, comme l’indique la DAJ dans sa première fiche du 26 mars 2020, « l’entreprise reprend l’exécution des prestations et les conséquences financières de la suspension sont déterminées par avenant compte tenu des éventuelles modifications du périmètre des prestations », c’est-à-dire compte tenu de l’augmentation ou la diminution des prestations, soit nullement en considération des préjudices subis par l’entreprise du fait de cette suspension.
La DAJ a, semble-t-il, confirmé cette interprétation dans la dernière mise à jour du 6 avril 2020 de sa fiche : « A l’issue de la suspension, l’entreprise reprend l’exécution des prestations. Lorsque la quantité des prestations est modifiée, un avenant en détermine les conséquences financières compte-tenu des prestations réellement exécutées sur la durée totale du contrat ».
De toutes ces dispositions manifestement plutôt favorables à l’acheteur public, la DAJ fait bien de préciser qu’elles « constituent un socle minimal applicable nonobstant toute clause contractuelle moins favorable au titulaire » et qu’elles « n’ont pas vocation à couvrir l’ensemble des situations susceptibles d’être rencontrées par les parties pendant la crise sanitaire liée au covid-19. En dehors des hypothèses mentionnées par l’ordonnance, les stipulations contractuelles s’appliquent et, dans le silence du contrat, les conditions d’indemnisation des parties sont celles issues de la jurisprudence ».
En conclusion, l’Ordonnance ne prévoit pas l’indemnisation de l’entreprise contrairement à ce que prétend la fiche de la Direction des Affaires Juridiques (DAJ) du Ministère de l’Economie et des Finances dans un sous-titre plein de promesses : « faciliter l’indemnisation des préjudices ».
Il conviendra donc de réagir avec d’autres outils dont dispose l’entreprise, sans se laisser bercer d’illusions par ces quelques dispositions d’une Ordonnance épouvantail.